Le pari de la dissolution se retourne contre Emmanuel Macron
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En juin 2014, Le Point déclarait: « la France se trouve désormais dans une situation pré-révolutionnaire où tout devient possible ». Dix ans plus tard, après la décision surprise d’Emmanuel Macron de convoquer ces élections législatives anticipées, la prédiction du Point est-elle sur le point de se réaliser? Donnez-moi votre avis: tony.barber@ft.com.
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Commençons par les résultats de notre sondage de la semaine dernière. Interrogés sur la décision d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée Nationale, 44 pour cent des lecteurs ont estimé qu’il s’agissait d’un pari imprudent et 42 pour cent que c’était une décision judicieuse, tandis que 14 pour cent n’ont pas exprimé d’opinion. Merci d’avoir voté!
Des extrêmes florissants
Le premier tour des élections aura lieu dans huit jours, et le deuxième tour le 7 juillet. Tout pronostic doit tenir compte de nombreuses incertitudes sur le niveau d’abstention et les blocs politiques qui seront au second tour. (La BBC propose ici un résumé utile du système électoral.)
Pour l’instant, la décision d’Emmanuel Macron semble se retourner contre lui. Pour le président et ses alliés, la campagne devait faire emerger un grand bloc de citoyens prêts à défendre les valeurs de la démocratie libérale centriste. Elle semble au contraire renforcer les extrêmes.
L’argument est résumé par François Brousseau pour pour Radio Canada (ici), citant un éditorial cette semaine dans le journal national de droite Le Figaro, qui avait pour titre: « La dissolution hara-kiri [de l’Assemblée nationale] par Emmanuel Macron ».
Brousseau rapporte les doutes du camp de Macron quant au bien-fondé de son pari. Il cite les propos du ministre des Finances Bruno Le Maire : «C’était la décision d’un seul homme. Elle a créé dans le pays de l’inquiétude, de l’incompréhension, parfois de la colère.»
Cet état d’esprit reflète les sondages. Ceux-ci prédisent que le Rassemblement National, le parti d’extrême droite de Marine Le Pen, remportera le plus grand nombre de sièges dans l’Assemblée nationale, qu’une coalition de gauche arrivera non loin derrière en deuxième place et que les alliés centristes du président termineront, loin derrière, en troisième place (bien qu’un nouveau sondage publié jeudi soir suggère une légère progression).
Conséquences pour la guerre en Ukraine
Un tel résultat serait certainement accueilli avec malaise par la plupart des dirigeants de l’UE et de l’OTAN. Viktor Orbán, le Premier ministre hongrois, semble toutefois être une exception. Dans une interview, il fait le lien entre la défaite de Macron aux élections européennes et le soutien de la France à l’Ukraine dans sa guerre contre l’envahisseur russe:
« Dans le pays clé qu’est la France. . . là où se trouvent les personnes qui étaient peut-être les plus déterminés à envoyer des soldats occidentaux faire la guerre en Ukraine, le système politique a été renversé. Il faut maintenant y organiser des élections législatives anticipées, là où il y a de fortes chances que le parti favorable à la paix renouvelle la victoire [du 9 juin].»
Orbán exagère la volonté de Macron d’envoyer des soldats sur le terrain en Ukraine. De plus, le terme « parti pro-paix » — implicitement l’extrême droite — ignore le fait que toute paix consoliderait les acquis territoriaux russes depuis 2022 et, de fait, depuis l’annexion de la Crimée en 2014.
Néanmoins, Orbán a raison lorsqu’il affirme qu’une deuxième défaite électorale de Macron en un mois pourrait avoir de graves conséquences sur la position pro-ukrainienne de la France. Dans The Globalist, Holger Schmieding ecrit :
« L’Assemblée Nationale contrôle les cordons de la bourse du pays. Alors que Macron, en tant que commandant en chef, pourrait probablement encore envoyer des armes [déjà allouées] ou peut-être même des soldats en Ukraine, l’Assemblée Nationale pourrait lui refuser les fonds pour toute nouvelle initiative majeure…
« Le signal qu’enverrait la fin de l’argent français pour l’Ukraine pourrait inciter encore plus [Vladimir] Poutine à croire qu’il peut l’emporter. »
Impasse constitutionnelle — ou chaos
Les trois résultats les plus plausibles de l’élection semblent être:
une majorité relative pour le camp de Macron ;
Une « cohabitation » avec une majorite RN à l’Assemblee et Macron nommant le lieutenant de Le Pen, Jordan Bardella, au poste de Premier ministre ;
Une Assemblée nationale sans majorité, dans laquelle aucun parti ou coalition n’a de majorité absolue et une fragmentation politique croissante.
Tullia Bocco, économiste de la banque UniCredit, basée à Milan, considère le premier résultat comme improbable, le deuxième comme possible et le troisième comme le plus probable. Elle écrit à propos de ce dernier:
«Cela aggraverait l’impasse actuelle, le président ne pouvant dissoudre l’Assemblée nationale [la chambre basse du Parlement] pendant un an, conformément à la Constitution française. A terme, Macron pourrait décider de sortir de l’impasse en convoquant de nouvelles élections présidentielles, dans l’espoir que cela apporterait une stabilité politique.»
Bien entendu, le vainqueur d’une élection présidentielle anticipée pourrait être Marine Le Pen — une perspective inquiétante compte tenu des pouvoirs exécutifs étendus de la présidence sous la Ve République, comme le souligne Shahin Vallée dans le FT.
Risques économiques et budgétaires
Les perspectives budgétaires et économiques de la France n’étaient pas prometteuses avant que Macron ne déclenche la dissolution. Mais face à la perspective d’une République gouvernée par l’extrême droite et la gauche, les marchés financiers, les chefs d’entreprise et les partenaires européens de la France, sont plus ébranlés que jamais, comme le souligne cette analyse du FT des programmes économiques des partis.
Le point de vue des marchés est résumé par Ludovic Subran, économiste en chef chez Allianz:
« La gauche provoquerait une fuite des capitaux et l’extrême droite provoquerait une crise de la dette. . . et un gouvernement technocratique [dans un parlement sans majorité], un peu des deux. La prime de risque française ne devrait pas reculer de sitôt.»
1936 encore une fois ?
La mention d’une possible fuite des capitaux m’incite à établir des parallèles entre cette élection et la célèbre campagne de 1936 remportée par le Front populaire, une coalition de gauche. La gauche d’aujourd’hui évoque consciemment l’esprit antifasciste de cette époque, se qualifiant de “Nouveau Front Populaire.”
Il existe des similitudes étonnantes, mais aussi des différences cruciales.
Comme aujourd’hui, la situation internationale en 1936 était alarmante : l’Allemagne nazie était en plein essor et la guerre civile espagnole confrontait le Front populaire à des choix extrêmement difficiles. Mais contrairement à 1936, la gauche d’aujourd’hui n’est pas unie pour considérer la Russie comme une menace de la même manière que le Front populaire considérait Adolf Hitler.
Comme aujourd’hui, il y avait une menace intérieure d’extrême droite en France. Les émeutes ultranationalistes de février 1934 furent l’épisode le plus violent dans la capitale française depuis la Commune de Paris de 1871. Mais le RN se distingue des ligues d’extrême droite des années 1930 dans la mesure où il cherche à renverser l’establishment politique non pas dans la rue, mais dans les urnes.
Cela ne rend probablement pas le RN moins dangereux, mais souligne la détermination du parti à se débarrasser de l’image d’une canaille néofasciste et d’acquérir la légitimité démocratique d’un vainqueur d’élections libres et équitables.
Quant à la gauche, le Front populaire de 1936 n’était guère moins divisé que son successeur moderne. Il comprenait trois forces : les radicaux, les socialistes et les communistes. Malgré leur nom, les radicaux étaient un pilier de la modération politique dans la France de l’entre-deux-guerres, particulièrement forts dans les provinces conservatrices. Ils n’avaient presque rien de commun avec les communistes, fidèles serviteurs de Joseph Staline, qui a signé le pacte nazi-soviétique en 1939.
Aujourd’hui, les socialistes traditionnels tels que l’ancien président François Hollande — qui a fait son retour dans l’arène politique lors de cette campagne legislative — ne sont pas d’accord avec Jean-Luc Mélenchon, le leader de la gauche radicale.
Le dernier point concerne le programme du Front populaire de 1936. Il comprenait une semaine de 40 heures, des congés payés et des accords salariaux importants pour les travailleurs de l’industrie, ainsi qu’une dévaluation du franc — cette dernière étape étant impossible aujourd’hui avec la France dans la zone euro.
Une fuite massive de capitaux s’en est suivie et les marchés ont pris peur — exactement le scénario décrit ci-dessus par l’économiste en chef d’Allianz. Moins d’un an après son entrée en fonction, Léon Blum, le premier ministre socialiste, a déclaré une « pause » dans le programme du Front populaire — et c’était essentiellement fini. De nombreuses réformes de 1936 ont été annulées par les gouvernements suivants, jusqu’à l’invasion nazie de la France en 1940.
Quelque chose de similaire s’est produit au début des années 1980, lorsque le président socialiste François Mitterrand et son gouvernement d’union de la gauche ont tenté de mettre en œuvre un programme économique radical. La réaction du marché a été si violente que Mitterrand a fait marche arrière.
En conclusion nous pouvons donc imaginer que le même scenario puisse se matérialiser dans le cas, plutôt improbable, ou le front de gauche gagnait. Quant à l’extrême droite, même si elle ne remporte pas les élections, ses chances d’accéder au pouvoir plus tard dans la décennie ne disparaîtront pas.
En ce sens, la prédiction du Point en 2014 est toujours d’actualité.
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